Pr. Philippe Evrard

Pr. Philippe Evrard

- Neuropédiatre
- Chef de service honoraire de neurologie pédiatrique (créateur du service) - Robert Debré

Le neurodéveloppement de la déglutition

Résumé

Le neurodéveloppement de la déglutition comporte le déploiement de deux circuiteries neuronales successives. (i) Une première praxie de succion – déglutition acquise dès la vie fœtale et utilisée durant les premières années de vie postnatale ; (ii) une deuxième praxie de mastication – déglutition du sujet denté (complètement acquise par plus de 60 % des enfants à l’âge de quatre ans). Chez le sujet normal, cette deuxième praxie permet une alimentation « euphagique » et une croissance faciale « eumorphique ». Cette transition dépend d’effecteurs périphériques multiples et est sous le contrôle du système nerveux central, ainsi que l’ont montré de nombreux travaux de recherche, auxquels Patrick Fellus a contribué par ses observations associant la clinique et l’imagerie IRM fonctionnelle. C’est dans cette période de « commutation » des deux praxies de déglutition que la fréquence des dysphagies d’origine neurologique est la plus élevée (avec une réduction de moitié à l’âge de cinq ans).
De telles commutations (« switches ») de circuiteries et de réseaux neuronaux sont connus dans d’autres domaines du neurodéveloppement. J’évoque, à titre d’exemples : (i) Dans le domaine du langage, l’existence probable de circuiteries alternatives précoces suggérées par la clinique et les imageries d’enfants atteints d’aphasies acquises précoces. (ii) Les « afférentations » atypiques chez certaines personnes à haut potentiels sont aussi évoquées pour expliquer certaines performances exceptionnelles. (iii) Chez le chat domestique, la maturation précoce de réseaux centraux qui permettraient une vision diurne précise (comme chez certains chats sauvages), inhibés et perdus ensuite au profit d’une circuiterie performante pour la vision nocturne ; il pourrait s’agir d’une mémoire phylogénique avec commutation des réseaux au cours du développement chez le chat domestique. Les hypothèses le plus souvent avancées pour expliquer de telles commutations sont l’existence de redondances normales, ainsi que, lors de certaines lésions, de phénomènes de diaschisis.
Les neuropédiatres, les médecins de rééducation, les pédodontistes, les orthodontistes, les kinésithérapeutes, les orthophonistes, les gastroentérologiques, les diététiciens et bien d’autres sont très souvent confrontés aux dysphagies hautes, à la sialorrhée et au bavage, particulièrement durant la période de commutation de la succion – déglutition lors du passage à la période de mastication – déglutition. En neuropédiatrie, ces troubles sont très fréquents dans le syndrome de « paralysie cérébrale » souvent associée à la grande prématurité.
Les choix thérapeutiques à faire contre ces pénibles manifestations de la paralysie cérébrale sont parfois très difficiles. Il faut évidemment se baser sur la « Médecine basée sur la Preuve » (Evidence Based Medicine) (EBM), qui est une stratégie tout à fait importante et pertinente. Toutefois, il faut rappeler que depuis Gordon Guyatt, qui a créé le concept d’EBM à McMaster en 1980, jusqu’à ce jour, tous les auteurs qui utilisent ce concept savent parfaitement qu’il n’y a qu’une quarantaine de % (au maximum) de décisions médicales pour lesquelles une preuve scientifique solide est apportée. Il est donc toujours crucial de combiner, pour préconiser les soins, d’utiliser une EBM reposant sur les preuves scientifiques, lorsqu’elles existent, et, lorsqu’il n’y a pas encore de preuve scientifique solide, sur les avis des professionnels qualifiés (réunis en groupes de consensus encadrés par une méthodologie rigoureuse) et sur l’avis des associations d’utilisateurs. C’est ce qui se fait, par exemple, à la Haute Autorité de Santé en France, chez NICE au Royaume-Uni, KCE en Belgique, CDC – NIH à Bethesda – Atlanta). 

Le consensus dont nous disposons actuellement dans le domaine des sialorrhées et des dysphagies hautes en neuropédiatrie, et qu’il importe d’approfondir tant sur le plan de la recherche que sur la méthodologie d’acquisition du consentement des professionnels et des utilisateurs, comporte les éléments suivants qui seront abordés dans l’exposé oral.

¤ L’équipement « Froggy Mouth », dont l’expérimentation clinique en neuropédiatrie progresse, est actif pour réduire et même guérir des cas de sialorrhée avec bavage d’origine neurologique. Cet appareil est à tenter le plus souvent et le plus tôt possible, comme traitement adjuvant ou principal, d’autant plus qu’il est dépourvu de risque. 

Pour les cas de sialorrhée non contrôlés par Froggy Mouth, surtout lorsqu’ils sont en relation avec une paralysie cérébrale, les stimulations sensitives (avec prise de conscience) et les stimulations motrices y compris la rééducation de la déglutition par un(e) orthophoniste sont indiqués. En cas d’échec, les thérapeutiques habituelles de l’hypersalivation sont:
• les médicaments à effets atropiniques (notamment atropine sublinguale)
• les injections de toxine botulique réalisées soit dans les glandes sous-maxillaires, soit dans les glandes parotides, soit dans les deux.
• Les techniques chirurgicales (sous-maxillectomies, section de la corde du tympan, déroutation des canaux excréteurs salivaires) ont presque disparu, sauf dans des formes extrêmes et rebelles.

¤ Dans les dysphagies hautes de gravité légère ou sévère, l’essai du Froggy Mouth pourra être tenté, s’il est possible compte tenu du handicap, en complément aux méthodes spécialisées qui ne sont pas détaillées dans cette conférence.

Quelques références
• BENFER K. et al. Oropharyngeal dysphagia and cerebral palsy. Pediatrics. 2017. 140: 1-10.
• DI VECCHIO P. et al. Froggy mouth : a new myofunctional approach to atypical swallowing. Euèr Jnl Ped Dentistry. 2019, 20:33-37.
• FELLUS P. From digit-sucking-cum-deglutition to deglutition in dentate subjects. Orthod Fr. 2016;87:89-90.
• LYON G. et EVRARD P. Traité de Neuropédiatrie. 2ème édition. Masson, Paris, 2001, 544 pages. Réimpression en 2009.
• MANZINI P. et al. Tongue rehabilitation through the froggy mouth device: case series. J Biol Regul Homeost Agents. 2020, 34 : 142-150.
• QUINZI V. et al. Short-term effects of a myofunctional appliance on atypical swallowing and lip strength: a prospective study. J. Clin. Med. 2020; 9: 2652-2662.
• RAPIN I. Acquired aphasia in children. Jnl Child Neurol. 1995.
• SCOFANO DIAS B. et al. Sialorrhea in children with cerebral palsy. J Pediatr (Rio). 2016. 92: 549-558.

Pr Philippe Evrard

Pr Philippe Evrard

- Neuropédiatre
- Chef de service honoraire de neurologie pédiatrique (créateur du service) - Robert Debré

Le neurodéveloppement de la déglutition

Résumé

Le neurodéveloppement de la déglutition comporte le déploiement de deux circuiteries neuronales successives. (i) Une première praxie de succion – déglutition acquise dès la vie fœtale et utilisée durant les premières années de vie postnatale ; (ii) une deuxième praxie de mastication – déglutition du sujet denté (complètement acquise par plus de 60 % des enfants à l’âge de quatre ans). Chez le sujet normal, cette deuxième praxie permet une alimentation « euphagique » et une croissance faciale « eumorphique ». Cette transition dépend d’effecteurs périphériques multiples et est sous le contrôle du système nerveux central, ainsi que l’ont montré de nombreux travaux de recherche, auxquels Patrick Fellus a contribué par ses observations associant la clinique et l’imagerie IRM fonctionnelle. C’est dans cette période de « commutation » des deux praxies de déglutition que la fréquence des dysphagies d’origine neurologique est la plus élevée (avec une réduction de moitié à l’âge de cinq ans).
De telles commutations (« switches ») de circuiteries et de réseaux neuronaux sont connus dans d’autres domaines du neurodéveloppement. J’évoque, à titre d’exemples : (i) Dans le domaine du langage, l’existence probable de circuiteries alternatives précoces suggérées par la clinique et les imageries d’enfants atteints d’aphasies acquises précoces. (ii) Les « afférentations » atypiques chez certaines personnes à haut potentiels sont aussi évoquées pour expliquer certaines performances exceptionnelles. (iii) Chez le chat domestique, la maturation précoce de réseaux centraux qui permettraient une vision diurne précise (comme chez certains chats sauvages), inhibés et perdus ensuite au profit d’une circuiterie performante pour la vision nocturne ; il pourrait s’agir d’une mémoire phylogénique avec commutation des réseaux au cours du développement chez le chat domestique. Les hypothèses le plus souvent avancées pour expliquer de telles commutations sont l’existence de redondances normales, ainsi que, lors de certaines lésions, de phénomènes de diaschisis.
Les neuropédiatres, les médecins de rééducation, les pédodontistes, les orthodontistes, les kinésithérapeutes, les orthophonistes, les gastroentérologiques, les diététiciens et bien d’autres sont très souvent confrontés aux dysphagies hautes, à la sialorrhée et au bavage, particulièrement durant la période de commutation de la succion – déglutition lors du passage à la période de mastication – déglutition. En neuropédiatrie, ces troubles sont très fréquents dans le syndrome de « paralysie cérébrale » souvent associée à la grande prématurité.
Les choix thérapeutiques à faire contre ces pénibles manifestations de la paralysie cérébrale sont parfois très difficiles. Il faut évidemment se baser sur la « Médecine basée sur la Preuve » (Evidence Based Medicine) (EBM), qui est une stratégie tout à fait importante et pertinente. Toutefois, il faut rappeler que depuis Gordon Guyatt, qui a créé le concept d’EBM à McMaster en 1980, jusqu’à ce jour, tous les auteurs qui utilisent ce concept savent parfaitement qu’il n’y a qu’une quarantaine de % (au maximum) de décisions médicales pour lesquelles une preuve scientifique solide est apportée. Il est donc toujours crucial de combiner, pour préconiser les soins, d’utiliser une EBM reposant sur les preuves scientifiques, lorsqu’elles existent, et, lorsqu’il n’y a pas encore de preuve scientifique solide, sur les avis des professionnels qualifiés (réunis en groupes de consensus encadrés par une méthodologie rigoureuse) et sur l’avis des associations d’utilisateurs. C’est ce qui se fait, par exemple, à la Haute Autorité de Santé en France, chez NICE au Royaume-Uni, KCE en Belgique, CDC – NIH à Bethesda – Atlanta). 

Le consensus dont nous disposons actuellement dans le domaine des sialorrhées et des dysphagies hautes en neuropédiatrie, et qu’il importe d’approfondir tant sur le plan de la recherche que sur la méthodologie d’acquisition du consentement des professionnels et des utilisateurs, comporte les éléments suivants qui seront abordés dans l’exposé oral.

¤ L’équipement « Froggy Mouth », dont l’expérimentation clinique en neuropédiatrie progresse, est actif pour réduire et même guérir des cas de sialorrhée avec bavage d’origine neurologique. Cet appareil est à tenter le plus souvent et le plus tôt possible, comme traitement adjuvant ou principal, d’autant plus qu’il est dépourvu de risque. 

Pour les cas de sialorrhée non contrôlés par Froggy Mouth, surtout lorsqu’ils sont en relation avec une paralysie cérébrale, les stimulations sensitives (avec prise de conscience) et les stimulations motrices y compris la rééducation de la déglutition par un(e) orthophoniste sont indiqués. En cas d’échec, les thérapeutiques habituelles de l’hypersalivation sont:
• les médicaments à effets atropiniques (notamment atropine sublinguale)
• les injections de toxine botulique réalisées soit dans les glandes sous-maxillaires, soit dans les glandes parotides, soit dans les deux.
• Les techniques chirurgicales (sous-maxillectomies, section de la corde du tympan, déroutation des canaux excréteurs salivaires) ont presque disparu, sauf dans des formes extrêmes et rebelles.

¤ Dans les dysphagies hautes de gravité légère ou sévère, l’essai du Froggy Mouth pourra être tenté, s’il est possible compte tenu du handicap, en complément aux méthodes spécialisées qui ne sont pas détaillées dans cette conférence.

Quelques références
• BENFER K. et al. Oropharyngeal dysphagia and cerebral palsy. Pediatrics. 2017. 140: 1-10.
• DI VECCHIO P. et al. Froggy mouth : a new myofunctional approach to atypical swallowing. Euèr Jnl Ped Dentistry. 2019, 20:33-37.
• FELLUS P. From digit-sucking-cum-deglutition to deglutition in dentate subjects. Orthod Fr. 2016;87:89-90.
• LYON G. et EVRARD P. Traité de Neuropédiatrie. 2ème édition. Masson, Paris, 2001, 544 pages. Réimpression en 2009.
• MANZINI P. et al. Tongue rehabilitation through the froggy mouth device: case series. J Biol Regul Homeost Agents. 2020, 34 : 142-150.
• QUINZI V. et al. Short-term effects of a myofunctional appliance on atypical swallowing and lip strength: a prospective study. J. Clin. Med. 2020; 9: 2652-2662.
• RAPIN I. Acquired aphasia in children. Jnl Child Neurol. 1995.
• SCOFANO DIAS B. et al. Sialorrhea in children with cerebral palsy. J Pediatr (Rio). 2016. 92: 549-558

il.

fermer le menu